Il a beaucoup été question dans mes divers articles et notes de lecture des addictions à des substances psychoactives (car ce sont celles qui me concernent), mais il existe aussi de plus en plus d’addictions comportementales, dont un champ concerne les addictions sexuelles (sexualité compulsive, pornographie…etc.). Au cours de la lecture de l’ouvrage collectif « Cliniques de l’extrême » dirigé par Vincent Estellon et François Marty (2012, édition Armand Colin), je suis tombé par hasard sur le chapitre 5 intitulé « Sexualités extrêmes, les sexualités mélancoliques » écrit par Vincent Estellon et dont voici deux citations intéressantes :

« La société moderne occidentale dans laquelle nous évoluons conditionne lentement mais sûrement femmes et hommes – enfants ou adultes – à un monde où ce qui est désiré doit pouvoir s’acquérir pour apparaître dans l’instant. Plus d’attente, plus de frustration, mais offres à profusion de produits de consommation « illimitée ». Dans cette optique ne voulant rien savoir du sentiment de frustration lié au manque, les comportements sexuels eux aussi connaissent une évolution où règne la loi de l’offre et de la demande, la règle de libre concurrence, accordant à l’objet « sexe » le même statut que n’importe quelle autre marchandise. En quelques décennies, l’accès à la pornographie s’est non seulement développé mais surtout banalisé. On est loin de la censure du début du XXe siècle, où les scènes de baiser étaient tout simplement coupées des bandes cinématographiques. Des études de consommation montrent que sur le moteur de recherche n°1 mondial, Google, les termes « sex », « love », « porn » arrivent en tête de tous les questionnements par genre et par nature. La sexualité est devenue récréative et même impérative. Car en effet, tout se passe comme si le slogan du nouveau Surmoi sociétal était devenu : « Il faut jouir sans entraves ! ». » (page 114)
« Comme d’autres formes de dépendance, l’addiction sexuelle se construit par un processus au cours duquel nous distinguons plusieurs étapes : l’expérimentation, l’usage occasionnel (festif), l’usage régulier mais qui ne constitue pas encore une raison de consulter. C’est lorsque cet usage devient une réponse à des difficultés existentielles que peut commencer à s’installer une problématique addictive, c’est-à-dire une dépendance devenue source de souffrance. De ces pratiques, le sujet pourra dire « C’est plus fort que moi ». D’un point de vue symptomatique, il est à observer une polymorphie des manifestations. Le point de départ est un besoin sexuel dévorant qui prendra plusieurs destins : masturbation compulsive, addiction à la pornographie, cybersex sur internet, multi-partenariat, démultiplication des aventures sexuelles, addiction aux chats de rencontre, fréquentation excessive de sex clubs ou des lieux de drague (…). » (page 117)
Je vous conseille par ailleurs la lecture de l’ouvrage dans son ensemble. Il ne concerne pas spécifiquement les addictions, mais un ensemble de situations où le psychologue clinicien se retrouve confronté à un dépassement du cadre de sa pratique et des catégories de pensées de ses patients et de leurs souffrances. La clinique de l’extrême s’intéresse à toutes ces situations de souffrances psychiques en marge de la société et qui sont difficiles d’accès pour les soignants. Les conduites addictives n’en sont qu’un cas parmi d’autres comme les traumatismes de guerre, les infanticides, l’inceste ou encore certains handicaps, pour n’en citer que quelques exemples. Une lecture qui passionnera tous les amateurs de psychologie clinique.


