Contre la dictature de l’addiction, vers une démocratie psychique

L’addiction, qui commence par l’immédiateté et l’intensité du plaisir et se termine par la souffrance du manque et du sevrage, entraîne la focalisation de toute l’existence autour de la consommation d’une ou plusieurs substances. C’est ce qu’Alain Morel et Jean-Pierre Couteron appellent la « centration » dans leurs travaux sur les addictions. En prenant pour métaphore la diversité des modes d’organisation du pouvoir politique, on peut comparer l’addiction à une dictature psychique. Le produit, ou le comportement dont on est devenu dépendant, aliènent toutes les dimensions de la vie : c’est le dictateur qui opprime. Le produit dicte ce que l’on doit faire, contre notre volonté, et malgré les souffrances et les effets secondaires qui augmentent avec le temps. La maîtrise de notre vie a été déplacée dans le cerveau, du cortex préfrontal vers le circuit de la récompense, lesquels, peu à peu, se déconnectent. La dictature n’a pas de fin, elle se croit immortelle et toute puissante, elle abolit la liberté. Dans les pires moments, cela vire au totalitarisme, dont Hannah Arendt repérait deux effets : la désolation et la terreur. La désolation de se voir dans la déchéance : les relations sociales, l’hygiène de vie, l’argent, le travail, les sorties, toutes autres formes de plaisirs sont sacrifiés par l’addiction au nom du plaisir et si possible, du plaisir absolu. La terreur de manquer du produit ou de ne pas pouvoir exercer l’activité dont on est addict.

A contrario, la démocratie psychique consisterait à reconnecter toutes les dimensions de sa vie, et de son cerveau, à s’ouvrir au corps, qui s’exprime par les émotions, et si elles sont refoulées, par la psychosomatisation des affects. Il s’agit de s’ouvrir à la pluralité et la diversité mouvante de l’esprit qui émerge de ce corps. Pour vivre sainement, on a besoin d’une petite dose de stress, de peur, d’anxiété, afin de repérer les difficultés et de pouvoir imaginer et mettre en place des solutions. On a besoin de relation sociales enrichissantes et solides. De même, l’impermanence du monde dans lequel on vit requiert d’être capable de s’adapter aux contingences de la vie : les mauvaises nouvelles, les échecs, les douleurs, les pertes font partie de l’existence et les abolir totalement par la corruption chimique du cerveau empêche d’y faire face. C’est la raison pour laquelle une addiction est nécessairement temporaire ou fatale.

Nous vivons dans une société particulièrement addictogène et le risque serait de voir des addictions partout. Or toute dépendance ne signifie pas nécessairement souffrance. L’addict est celui qui perd la liberté de s’abstenir de consommer ou de s’adonner à un comportement autodestructeur, qui essaye de s’en sortir et qui n’y parvient pas. L’idéal de la démocratie psychique, c’est d’ouvrir un dialogue constructif avec soi-même. De ce dialogue émergent des choix, s’exerce le libre arbitre, et dès lors nous pouvons prendre nos responsabilités. Au lieu de contempler le champ des possibles, on s’y engage, en prenant des risques mesurés. La démocratie psychique c’est s’observer, s’écouter, prendre le temps de se penser, et agir en conséquence. Un adulte mature et épanoui vit en démocratie psychique. C’est mon idéal aujourd’hui, ce sera ma réalité demain.

Retour en haut