De la sagesse pratique

« L’Orient pour s’orienter« , écrivait le poète Henri Michaux. On associe souvent la sagesse à l’orient, mais l’occident possède, comme toutes les sociétés et cultures du monde, sa propre sagesse. La notre s’est épanouie dans la philosophie, dont les questionnements n’ont de cesse de basculer de la pensée vers la science au fil des siècles. Je vous propose ici un petit guide de sagesse pratique à l’égard d’autrui, à utiliser sans modération, que vous soyez un addict, un aidant, un membre de la famille ou un simple visiteur. Je développe ici quelques idées pour une gradation vers la sagesse : écoute, bienveillance, compassion et altruisme. Ces propos sont largement inspirés par des lectures diverses allant du bouddhisme à la philosophie.

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L’écoute

Pour moi l’écoute, c’est apprendre à considérer que l’autre a toujours raison, en tant qu’il exprime sa raison. Cela ne doit pas nous conduire à tout tolérer et tout accepter. Mais lorsqu’une personne s’exprime, elle communique sa vérité, elle a ses raisons que notre raison tente d’ignorer. Écouter, c’est dès lors accepter que l’autre ait raison, ne serait-ce d’abord que pour soi. Écouter, c’est accueillir la parole de l’autre et lui offrir un espace dans notre esprit. L’écoute favorise l’acceptation de soi car elle nous entraîne à accepter les autres. Et les autres ne sont bien souvent que des versions divergentes de nous même, des contingences, des conditionnalités non réalisées qui auraient pu nous conduire à devenir eux, si nous avions vécu la même histoire personnelle. Pour écouter avec efficacité il faut lever les défenses psychiques. Les psychologues cliniciens, par exemple, sont des professionnels de l’écoute. Toute la journée, ils ou elles dégagent de l’espace mental pour autrui, dans la résonance avec leurs connaissances, afin que jaillisse le trait d’esprit qui changera la vie d’autrui. C’est un métier difficile, mais très signifiant, et probablement une voie vers une certaine sagesse.

La bienveillance

Le mot est transparent. Il s’agit, avec la bienveillance, de se mettre dans une disposition favorable au bien d’autrui. C’est non seulement vouloir, mais aussi pratiquer le bien envers l’autre. Il y a dans la bienveillance à la fois quelque chose de naturel (une mère qui allaite son enfant lui fait du bien et veille sur lui), et de culturel (voir les injonctions sociales répétées et pas toujours sincères à la bienveillance). Le défi de la bienveillance c’est la sincérité. Il faut la vivre pour la pratiquer. La bienveillance suppose l’empathie, cette capacité à recevoir en soi les émotions des autres sans se laisser submerger. Elle suppose aussi l’écoute, qui est la déclinaison concrète de l’empathie. On ne devrait pas tirer une gloire personnelle, un faire-valoir narcissique de la bienveillance pour qu’elle soit honnête et sincère. Si on a des intérêts cachés à la bienveillance, le « bien » disparaît alors derrière la « veille ». On trouve la bienveillance comme prérequis dans tous les métiers du secteur médico-social. C’est d’ailleurs une grande souffrance pour les personnels hospitaliers que de ne pas pouvoir exercer dans des conditions qui leur permettent d’agir avec toute la bienveillance dont ils sont capables et dont ils ont besoin, faute de moyens, comme toujours. Il n’y a pas de diplôme de bienveillance. Elle s’apprend par la pratique, dans la famille, au travail, dans la vie au sens le plus général. La plupart des philosophies et des religions encensent la bienveillance, mais pas dans les mêmes desseins. La bienveillance est au final sincère lorsque l’autre la reconnaît en nous.

La compassion

L’étymologie est claire sur le sens de ce mot : la compassion provient du latin compassiun « sentiment que nous fait éprouver la souffrance d’autrui ». Pour aller plus loin, je dirais que la compassion, dans une acception proche du bouddhisme et du christianisme, c’est prendre la souffrance de l’autre sur soi. Je prends une partie de ta souffrance, je la partage, nous la vivons ensemble, quel que soit ma situation personnelle. Cela demande encore plus de travail et d’effort que la bienveillance, pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une éducation qui transmet ces principes. La compassion fait descendre la bienveillance et l’écoute encore un peu plus profondément dans le corps physique. Les narcissiques sont incapables de compassion et ils le démontrent au quotidien. La fausse compassion, dans une société qui a fait sa transition de l’individualisme au narcissisme généralisé, est pléthorique. Avec de la compassion, on ne se moque jamais de l’autre, on essaye de voyager quelques pas avec lui ou elle. Les problématiques de harcèlement scolaire ou professionnel nous confrontent tous les jours à un manque criant de compassion. Pourtant nous en avons un besoin crucial, vital même lorsque nous avons la malchance d’avoir des problèmes de santé. Et l’addiction nécessite de la compassion pour être traitée et pour accompagner l’addict vers l’abstinence.

L’altruisme

Des études ont montré qu’en cas de catastrophe, c’est l’altruisme qui prévaut sur le chaos et la malveillance. Et c’est logique d’un point de vue évolutif pour l’espèce humaine. Dans son livre « Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie« , le biologiste et historien Jared Diamond met en évidence que les sociétés qui ont fait le plus preuve d’entraide et d’altruisme sont celles qui ont le plus de chance de survivre lorsque surviennent des séries de catastrophes dramatiques. Dans un monde de plus en plus affecté par les guerres et le dérèglement climatique, nous allons avoir besoin de cultiver intensivement notre altruisme, de sorte que l’individualisme ne reste qu’une période temporaire de l’histoire humaine, tout comme le capitalisme. L’altruisme n’est donc plus une attitude mais un ensemble d’actions destinées à faire le bien. Les champions de l’altruisme dans les représentations sociales, ce sont les personnes qui s’engagent, parfois au risque de leur vie, dans des actions humanitaires. Inutile pourtant de partir aussi loin pour faire le bien : des petits gestes, des attentions mises en actes, sont suffisantes pour faire preuve d’altruisme. Là aussi, il est possible de cultiver cette vertu. Rousseau pensait que les hommes naissaient naturellement bons pour être corrompus ensuite par la culture de la société. Hobbes pensait l’exact inverse. Que l’on soit bon ou mauvais, cela n’est pas une question de jugement, c’est une question d’acte concret. Il s’agit de vivre et d’agir pour faire la différence. Des millions, des milliards de petits gestes peuvent avoir de grandes conséquences. Mais ne réduisons pas l’altruisme à de simple gestes personnels. Il y a dans l’altruisme un enjeu politique important, c’est à dire un enjeu lié aux décisions prises par et pour le collectif humain. Ainsi avons le devoir et le besoin de redonner du souffle et de la vitalité aux idées de bien commun et d’intérêt général. Surtout en ces temps où chacun semble croire qu’il est plus simple de ne penser et d’agir que pour soi. Il y a de l’autre en soi que du soi en l’autre. L’humanité, et toute la vie sur Terre, est un vaste écosystème interdépendant. Les meilleures places ne sont pas achetées avec de l’argent, même s’il en faut, elles sont vécues par amour pour la liberté, l’égalité, la fraternité, la sororité, dans le respect de la différence. Là réside une forme de sagesse en acte, dans la participation positive à l’interdépendance qui nous relie à tout l’univers, rien de moins.

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