Définir l’addiction : enjeux épistémiques

Parmi les définitions du terme « définition« , le Centre Nationale des Ressources Textuelles propose d’emblée la phrase suivante : « fixer les limites« . Or il est difficile de fixer les limites d’une psychopathologie qui semble pouvoir s’attacher à de nombreux objets. Sommes nous addicts au chocolat autant qu’à la codéine ? De nombreux chercheurs se sont posé la question en des termes plus théoriques. Faut-il aborder la question de la définition du côté des symptômes ? Si oui, lesquels ? Ou du côté de la neurobiologie ? L’addiction est-elle davantage présente chez les névrosés, les état-limites, les narcissiques, les perversions ou les psychotiques, les différentes structures de personnalités reconnus par la clinique ?

dictionnaire
Définir c’est fixer des limites.

Étonnement, les différents courants de la psychologie se sont accordés ensembles sur une définition qui convient tant aux psychanalystes, aux comportementalistes, qu’aux psychiatres. L’addiction c’est la perte de la liberté de s’abstenir. Cette définition peut s’appliquer à tous les addicts dans leur diversité. On comprend dès lors d’autant mieux l’abstinence comme l’équivalent, dans le champ des conduites addictives, de la guérison. L’abstinent a regagné la liberté de s’abstenir. Il peut bien sûr rechuter, mais il sait que la rechute est une perte de liberté, comme l’étymologie du terme addiction, « être esclave de son créancier« , l’exprime déjà.

Le chercheur Aviel Goodman a tenté en 1990 une définition de l’addiction. Pour lui, l’addiction est « un processus par lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives« . Il a établi une grille de six critères principaux pour que puisse être défini un comportement addictif :

  • Impossibilité répétée de résister aux impulsions à faire ce comportement
  • Sensation croissante de tension immédiatement préalable au commencement du comportement
  • Plaisir ou soulagement pendant la durée du comportement
  • Sensation de perte de contrôle
  • Présence d’au moins cinq des neufs items suivants
    • Préoccupations fréquentes par rapport à ce comportement
    • Intensité et durée des épisodes plus importants que prévu
    • Tentatives pour diminuer ou arrêter
    • Beaucoup de temps consacré au comportement ou à s’en remettre
    • Survenue pendant des obligations professionnelles, scolaires, familiales, etc.
    • Activités majeures sacrifiées à cause du comportement
    • Bien que le sujet ait conscience du caractère pathologique, perpétuation du comportement
    • tolérance à l’égard du comportement : nécessité d’en augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré
    • agitation ou irritabilité si le sujet est dans l’impossibilité de réaliser ce comportement 
  • Certains éléments du syndrome ont duré plus d’un mois ou se sont répétés pendant une période plus longue.

Du côté de la psychanalyse, on trouve également une perspective intéressante. La psychanalyse considère l’addiction comme une tentative d’automédication. Ce serait une manière erronée de soigner un mal par un mal non perçu comme tel initialement. Et cette tentative d’autoguérison est transversale aux quatre structures de personnalités : psychoses, narcissismes, états-limites, névroses. Ce serait une tentative d’éviter l’effondrement psychique, quel que soit sa cause. A titre personnel, je me reconnais bien dans cette définition, comme mon article « Ce que je cherchais dans les drogues… » l’indique. L’addiction dépasse donc les structures de personnalités, c’est une modalité initiale de lutte, une réponse toxique, contre des souffrances psychiques différentes.

Pour écrire cet article, je me suis largement inspiré du « Que-sais je ? » sur les addictions dont voici la référence complète : Saïet, M. (2023). Les addictions. Presses Universitaires de France.

Addictions Que sais je ?
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