Ce week-end a été l’occasion de m’adapter à mon nouvel environnement dans un sentiment de relative solitude et une prise de conscience de la sécurité importante que m’apporte la clinique. Ce ne sont pas des vacances, comme me l’a rappelé sévèrement mon psychiatre mais bien un temps de soins qui s’inscrit dans une longue durée. Mon psychiatre me rend visite tous les jours, mais ces visites sont courtes (5 à 10 minutes) et c’est tout juste si j’ai le droit à la parole. Son défaut est manifeste : il a un pouvoir sur ses patients et cela lui procure une stature, un plaisir narcissique dont il ne se cache pas. Le plus simple pour moi, c’est de ne pas me plaindre, de ne pas le contredire et de ne surtout pas partager mes affects. Car lorsque je lui ait expliqué que mes conditions de vie à la cliniques ne correspondaient pas à mes attentes, il m’a menacé de me confisquer mon téléphone portable et mon ordinateur, m’expliquant que d’autres cliniques psychiatriques procédaient ainsi. Bref, je ne me sens pas à ma place ici, mais c’est déjà trop tard pour changer d’avis. Légalement, il serait trop onéreux et compliqué d’obtenir une sortie anticipée, je n’ai donc qu’à endurer ce régime de restrictions et d’enfermement jusqu’à la fin, sans me plaindre, en exprimant le moins possible mes sentiments et (sur)jouant le « bon patient » obéissant et normalisé de force.
Ce matin, j’ai lu les deux premières promenades des « Rêveries du promeneur solitaire » de Jean-Jacques Rousseau, un classique de la littérature française que je n’avais encore jamais lu. Méditant sur ma situation, je pourrais reprendre à mon comptes les phrases suivantes de Rousseau : « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. (…) Tout ce qui m’est extérieur, m’est étranger désormais. Je n’ai plus en ce monde ni prochain ni semblables, ni frères. Je suis sur la terre comme dans une planète étrangère où je serais tombé de celle que j’habitais. (…) Mon cœur s’est purifié à la coupelle de l’adversité, et j’y trouve à peine en le sondant avec soin, quelque reste de penchant répréhensible »
Mon psychiatre m’a planifié des activités obligatoires sans me préciser ni l’horaire ni le lieux dans la clinique et il a fermé la porte de ma chambre lorsque je lui ai demandé de les détailler. Je suis ainsi censé participer à des atelier sur l’estime de soi, la dépression, la gestion des émotions, un groupe de parole sur l’addiction et une initiation à la méditation. De mon psychiatre ou de moi, je ne sais pas qui est le plus pathologique : le simple fait que la question se pose est d’ailleurs un sérieux problème. Ceci dit, malgré tous ces aspects négatifs, je prend lentement mes marques. Au moins, je suis entouré de gens qui sont dans un état bien pire que le mien, ce qui me permet de déambuler habillé et coiffé ou non comme je le souhaite : quoique je fasse, j’ai par défaut une meilleure allure qu’eux. Dans ces conditions inutile de préciser que ce n’est pas ici que je vais développer des contacts sociaux ou me faire des amis, sauf exception inattendue. Chacun semble vivre dans sa propre bulle existentielle, bulles imperméables à toute communication. Même aux simples « bonjour » ou « comment se passe votre séjour ici ? », je n’obtiens aucune réponse. L’ambiance est donc plombée par la lourdeur des souffrances psychiques de chacun. Les regards des patients sont vides, vitreux, embués de larmes, les joues rouges ; la démarche est titubante, tremblante, fébrile.
Mon sentiment de colère vis-à-vis de tout ce qui a contribué à m’amener ici (y compris contre moi-même), s’est dissipé. L’heure est à l’acceptation. Je ne peux pas dire que je me sens mal ici, car le personnel infirmier apporte beaucoup de cette chaleur humaine qui manque dans ces couloirs froids et silencieux. Ma chambre est mon refuge, même si à tout moment quelqu’un peut y entrer, réalité avec laquelle je me suis aujourd’hui réconcilié. J’ai donc beaucoup de temps libre, ce qui est propice à la lecture et à l’écriture. Si l’inspiration arrive, il n’est pas impossible que je tente quelque expérimentation littéraire (un début de roman peut-être). Je regarde aussi des séries télévisées et des films sur mon ordinateur. La télévision ne me sert à rien car je ne la regarde pas dans ma vie normale. Je ferais peut-être quelques exceptions pour regarder des match de tennis, puisque le tournoi de Roland Garros commence ces jours ci.
S’il faut retenir une chose, c’est qu’une clinique psychiatrique n’est pas un lieu de villégiature, c’est un endroit lourdement médicalisé, avec des règles strictes, des protocoles rigoureux, ultra-sécurisé, et fermé. Je doute fortement de mon besoin d’être ici, mais c’est trop tard pour revenir sur cette décision. Je me console juste en me disant que cela fait des vacances à mes proches qui n’ont plus à s’inquiéter ni s’occuper de moi. Par contre, une chose est sûre, je ne reviendrai plus jamais vivre dans ce genre de lieu.


