En tant qu’addict, il est difficile pour moi de défendre la légalisation du cannabis. Je connais, pour l’avoir vécu, les ravages de l’addiction au cannabis, ses effets désocialisants, ses conséquences psychologiques et physiologiques désastreuses. Pourtant en étudiant le sujet, nul doute que les politiques de prohibition sont un échec à la fois sanitaire et sécuritaire. Pour rédiger cet article, je me suis basé sur le numéro 201 de la revue « Alternatives Non-Violentes« , intitulé « Faut-il légaliser le cannabis ?« , paru en 2021 et disponible sur le portail Cairn.
Un constat : l’échec de la prohibition
Il y a en France, en 2021, 5 millions de consommateurs de cannabis, dont 1,4 million en consomme tous les jours. Pourtant, la loi française est l’une des plus répressive en Europe. La mise en place de l’amende forfaitaire en 2020 n’a pas changé grand chose à part simplifier à la marge le travail de la police. Le cannabis est prohibé alors que le tabac et l’alcool sont légaux. Avec 71000 décès attribuables au tabac et 41000 à l’alcool en 2019 d’après l’Observatoire des Drogues et des Tendances Addictives, ces produits ont des conséquences sanitaires beaucoup plus graves et couteuses que le cannabis, auquel n’est attribuable aucune mort évitable, hors accidents de la route. Natahalie Estiot, ancienne policière, témoigne : « J’ai passé plus de la moitié de ma carrière de flic en chasse à la boulette de shit. On va donc à un point de deal repéré pour y faire des fouilles, dénicher quelques barrettes de shit et traduire tout cela en arrestations. Ces affaires présentent un taux d’élucidation proche de 100 % puisqu’on a un fait et son auteur, pas de victime et donc pas d’enquête à diligenter… Excellent pour les statistiques ! » La politique du chiffre, mise en place par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, provoque une incitation paradoxale à rechercher sans cesse plus de points de deal et d’arrestations. En effet, plus les policiers contrôlent et élucident des situations délictuelles, plus les chefs de la police perçoivent des primes. L’usage et le trafic de drogue devient une opportunité d’augmenter les revenus perçus par les policiers. Or dès qu’un point de deal est démantelé, un autre réapparaît aussitôt ailleurs.
A l’image de la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis dans les années 1930, qui favorisa l’enrichissement des mafias, la prohibition française entretient des réseaux criminels qui tirent des bénéfices considérables de la vente de cannabis. Ces réseaux criminels utilisent ensuite cet argent pour d’autres activités illégales, comme le trafic d’armes. Dans les quartiers défavorisés, le trafic de cannabis est une manière de percevoir des revenus faciles et rapides, alors que ces quartiers sont durement touchés par le chômage de masse. La légalisation donne l’opportunité de repenser aussi la politique de la ville pour ces quartiers où se concentrent les trafics.

Ce que permettrait la légalisation
Le 19 juin 2019, 70 médecins, élus, économistes dont Bernard Kouchner (ancien ministre de la Santé), Daniel Vaillant (ancien ministre de l’Intérieur), Benoît Hamon, Raphaël Glucksmann ont signé un appel intitulé « Pourquoi nous voulons légaliser le cannabis« . Un récent sondage Ifop nous apprend par ailleurs que 62 % des Français estiment que la vente de cannabis sous le contrôle de l’État serait plus efficace que l’interdiction pour lutter contre son trafic. La légalisation, à différencier de la simple dépénalisation, permettrait par ailleurs l’encadrement et le contrôle de la qualité du produit. Actuellement les trafiquants coupent leurs résine de cannabis avec du cirage, de la poudre de pneu, de l’huile de vidange, et autres produits afin d’augmenter leurs revenus, ce qui rend la consommation beaucoup plus toxique.
Plusieurs pays ont légalisé le cannabis ces dernières années : l’Uruguay, une quinzaine d’États américains et le Canada. Au Colorado et dans l’État de Washington, premiers à légaliser le cannabis en 2012 suite à des référendums officiels, la légalisation s’est même accompagnée d’une baisse de la consommation. Le marché américain du cannabis légal génère un chiffre d’affaire de 15 milliards de dollars. Il fait travailler 250 000 personnes à temps plein. Les entreprises organisant ce nouveau business ont vu leur valeur boursière augmenter rapidement. Selon le rapport du 20 juin 2019 du Conseil d’analyse économique, la légalisation en France génèrerait 2 milliards d’euros de recettes fiscales si le gramme de cannabis était vendu à 9 euros. Cet argent pourrait être consacré à la prévention, la lutte et le soin des addictions.


Les bienfaits du cannabis
Je peux témoigner des effets néfastes du cannabis et des cannabinoïdes de synthèse en tant qu’addict. A l’inverse, il faut savoir qu’il existe des effets bénéfiques du cannabis pour la santé. D’après l’addictologue Gabriel Anzou, le cannabis se montre efficace pour traiter les douleurs chroniques, certains troubles neurologiques et psychiatriques : « Nous savons avec certitude que le cannabis est efficace sur la spasticité (raideur musculaire persistante, spasmes ou contractures) due à la sclérose en plaques, sur la douleur neuropathique, ainsi que sur le manque d’appétit, la perte de poids, les nausées et vomissements provoqués par les chimiothérapies » Il ajoute que « L’analyse de 34 études épidémiologiques (réalisée par le personnel du département des sciences biologiques de l’université d’Indiana South Bend aux États-Unis) démontre que le cannabis peut réduire le risque de cancer. » Le cannabis limiterait également la progression de la maladie d’Alzheimer et les tremblements de la maladie de Parkinson.

Il est grand temps de faire évoluer la législation et de mettre fin à une prohibition qui n’a que des effets négatifs et aucun impact sur la consommation du produit. Pour ma part, je suis favorable à la légalisation, car cela va en faveur d’une meilleure politique de santé publique. Cela permettrait aussi de repenser la situation des quartiers défavorisés qui concentrent les points de deal, avec par exemple des programmes de formation pour permettre aux jeunes dealers de monter leur propre commerce légal. Cela libérerait du temps pour la police qui pourrait se concentrer sur des problèmes plus graves de criminalité organisée, de lutte contre le terrorisme et de davantage se concentrer sur les autres formes de délinquances, trop souvent délaissées au profit de la lutte contre le trafic. Bref, nous avons, collectivement tout à gagner à la légalisation.
Sources :
Vaillant, F. (2021). Violence et non-violence au sujet du cannabis. Alternatives Non-Violentes, 201, 2-6.
Auzou, G. (2021). Entretien avec un addictologue. Alternatives Non-Violentes, 201, 7-10.
Estiot, N. (2021). Du côté de la police…. Alternatives Non-Violentes, 201, 11-13.
Kherfi, Y. (2021). Cannabis, au-delà du plaisir. Alternatives Non-Violentes, 201, 14-17.
Colson, R. (2021). La légalisation du cannabis à l’étranger. Alternatives Non-Violentes, 201, 18-20.


