Depuis l’enfance, et a fortiori depuis l’adolescence, j’alterne des périodes de dépression, souvent longues, et des périodes d’euphorie, plus courtes. Cela est symptomatique d’un trouble de l’humeur que l’on appréhendait avant sous le terme de cyclothymie et, pour les cas les plus pathologiques, bipolarité (en remplacement de maniaco-dépressif, terme devenu obsolète). Il existe un continuum progressif d’intensité entre les différents individus présentant ce trouble. Je vous propose ici mon témoignage. Ce trouble de l’humeur n’est qu’une dimension de mes troubles psychiques qui présentent des caractéristiques qui dépassent cette seule condition.

La prévalence de la dépression
Mes périodes de dépression se caractérisent par le cumul des symptômes suivant : ennui, sentiment de perte ou d’absence de sens de la vie, perte de motivation pour l’ensemble des activités quotidiennes, y compris l’hygiène de vie la plus basique, idées morbides, suicidaires, impression de vivre dans un monde triste et désespérant. Quand je déprime, et outre le recours aux substances psychoactives dans le cadre de mes addictions, aucune activité ne me procure de sens ou de plaisir. Je ne fais plus rien, je dors beaucoup, j’ai envie d’en finir avec la vie. Cela s’accompagne de regrets, d’une baisse de l’estime de soi, de l’impression de rater ou d’avoir raté ma vie. S’ajoutent parfois à cela des angoisses quant à mon avenir incertain, avec un sentiment d’impuissance, de mal-être profond et incurable. La dépression ralentit tout, se manifeste comme le ressenti d’une forme de vide intérieur, de néant. Il n’y a plus aucune motivation, plus de désir, plus d’envies, plus de joie, juste la tristesse, la mélancolie qui envahit tout l’espace mental disponible. C’est justement pour éviter d’avoir à ressentir cela que mes addictions s’apparentent à une forme d’automédication : les substances psychoactives, en perturbant la chimie du cerveau, viennent combler ce vide en substituant les sensations de plaisirs aux émotions négatives.

L’euphorie, une forme d’hyperactivité
A l’inverse, je connais aussi des périodes d’euphorie, où tout semble aller bien, où je me consacre intensivement à des activités qui ont du sens pour moi. L’euphorie s’accompagne d’un sentiment de toute puissance, d’une fascination pour l’étendue infinie du champ des possibles. D’ailleurs tout paraît pouvoir devenir possible et réalisable dans ces moments là. Du point de vue psychologique, ce n’est pas, malgré la positivité apparente, un état sain, cela fait partie intégrante du trouble de l’humeur. Durant ces périodes je dors moins, je bouge plus, je suis quasiment hyperactif. Mais cela ne dure pas longtemps. Très vite une fatigue s’installe et la dépression reprend le dessus.

La tyrannie des cycles
Ces alternances de dépression et d’euphorie créent des cycles qui témoignent d’une forte instabilité émotionnelle. Ces cycles empêchent la réalisation de projets à long terme, ils me condamnent à toujours vivre dans l’inachèvement des projets. Je reste donc dans le potentiel, qu’il soit qualifié de haut ne change rien au fait que le potentiel s’oppose à l’accomplissement. D’où mes échecs dans le monde professionnel mais aussi sur des projets plus personnels, comme l’écriture d’un roman, par exemple. J’accumule depuis des années, parce que j’aime écrire, des débuts de romans, tous abandonnés et qui dorment dans les archives de mon disque dur. Je dois toujours tout recommencer à zéro. Ma vie est un début perpétuel et mon rêve serait de passer du potentiel à la réalisation. J’aimerais, et je cherche des solutions pour cela, établir une stabilité émotionnelle et affective solide et durable. Le traitement médicamenteux que j’ai eu pendant des années n’a pas réussi à me sortir de cette tyrannie des cycles. J’en ai un tout nouveau, sur lequel se porte un espoir de stabilité et de bien-être. Je suis envieux à l’égard des personnes qui réussissent à conduire une vie stable, malgré le mouvement naturel et les contingences des vies de chacun. Quoiqu’il en soit, ce trouble de l’humeur m’a conduit à la solution illusoire de la consommation répétée de produits psychoactifs sur une longue durée. L’addiction est donc devenue une psychopathologie que j’ai développé et qui, parce qu’elle reconfigure, lorsqu’elle dure trop longtemps, le cerveau de manière irréversible, m’accompagnera toute ma vie, que je sois abstinent ou pas.


