Le paradigme de la réduction des risques

Depuis les années 1970-1980 la prise en charge des addictions a beaucoup évolué en France. La loi du 31 décembre 1970 a instauré une politique de répression sévère des usagers de drogues avec une pénalisation pour toute consommation de produits stupéfiants. Dans un premier temps, les stupéfiants ne sont pas clairement définis et se réduisent à l’ensemble des drogues excluant le tabac et l’alcool. La répression s’est mise en place dans le contexte post-mai 68 où une forte augmentation de la consommation fut observée pour le cannabis mais aussi les autres drogues dites « dures » comme l’héroïne, le LSD, la cocaïne chez les jeunes. Pourtant, leur consommation ne fera qu’augmenter malgré la répression. Avec l’arrivée de l’épidémie de l’épidémie de VIH dans les années 1980 il a fallu revoir cette politique de « guerre contre les drogues » avec pour objectif l’éradication des drogues, idéal moraliste qui est vite apparu comme impossible à atteindre. C’est dans le contexte du développement du sida chez les consommateurs injecteurs d’héroïne qu’un nouveau paradigme a vu le jour : la réduction des risques. Son déploiement en France a été long et difficile, mais a prouvé son intérêt et son efficacité dès le début des années 1990.

Une brève histoire de la réduction des risques en France

La nécessité de changer de politique en matière de drogues et d’addiction est apparue avec le développement du VIH dans les années 1980. Les usagers d’héroïne par injection se trouvent massivement contaminés par le VIH à cause du partage des seringues infectées. Le débat public oppose alors les promoteurs d’une nouvelle politique, la réduction des risques face aux tenants de l’éradication des drogues et le traitement des addictions uniquement par le sevrage, de force si besoin. En retard sur des pays à forte culture de santé publique comme la Grande Bretagne ou les Pays-Bas, la France autorise la mise en vente de seringues stériles en pharmacie à titre expérimental seulement en 1987, mesure qui sera généralisée en 1989. Les opposants à ces mesures arguaient du fait que cela allait encourager l’usage des drogues, ce qui ne fut pas le cas.

En 1986, 50% des usagers injecteurs d’héroïne sont contaminés par le VIH. Des associations comme Médecins du Monde tentent de promouvoir des mesures de réduction des risques : la mise à disposition de seringues stériles puis les traitements de substitution par la méthadone. L’idée est d’aller au contact des usagers, là où ils se trouvent pour mettre en place des actions de prévention concrètes. Le pic de contamination des usagers injecteurs a lieu en 1994 avec 1000 décès par le VIH cette année là pour les seuls addicts à l’héroïne. La réduction des risques vise aussi à proposer des alternatives au seul sevrage pour les addicts aux opiacés : l’arrivée des traitements de substitution fait l’objet d’un débat public animé, ses opposants y voyant une continuité de l’addiction alors que ses promoteurs mettent en avant la diminution des morts par overdose, la réduction du craving et donc des rechutes.

Concepts et dispositifs de réduction des risques

La réduction des risques, d’abord prise en charge par des associations, devient une politique de santé publique avec la loi de 2004 qui fait naître les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour les Usagers de Drogues) et les CSAPA (Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie). Trois mesures phares sont légalisées : l’accès aux seringues stériles et au matériel de consommation, l’accueil des usagers, la mise à disposition des traitements de substitution aux opiacés comme la méthadone ou la buprénorphine (Subutex). Les effets des politiques de réduction des risques sont spectaculaires : les taux de nouvelles contamination au VIH passent de 30% au début des années 1990 à 4% dans les années 2000. La délinquance associée à la consommation d’héroïne diminue également avec une baisse de 67% des interpellations pour usage. Ces résultats démontrent que les addicts sont tout à fait capables de devenir acteur de leur santé si on leur en donne les moyens. Dès lors, le paradigme de la réduction des risques va s’étendre au delà des seuls addictions aux opiacés.

L’usager devient acteur de sa santé

La réduction des risques considère que l’éradication des drogues est impossible et que la société doit se défaire d’une approche moraliste à l’égard des usagers de drogues, licites ou illicites. Nicole Maestracci, ancienne présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie déclare en 1999 : « Il n’y a pas de société sans drogue et il n’y a pas de solution miracle aux problèmes de drogue ». Dès lors, l’abstinence et le sevrage ne sont pas nécessairement les seules réponses possibles. Pour certains addicts, une diminution de leur consommation compatible avec une vie sociale épanouie est préconisée. L’accompagnement se personnalise et l’addict est considéré comme acteur de sa santé. On favorise son autonomie par l’accompagnement dans la durée. Les équipes de soins sont pluridisciplinaires. Les traitements de substitution se généralisent. Désormais, l’addict devient pleinement acteur de sa santé et il est aidé pour regagner son autonomie et son indépendance.

Sources :

Morel, A., Chappard, P. & Couteron, J. (2012). L’aide-mémoire de la réduction des risques en addictologie: En 22 notions. Dunod.

Chappard, P., Couteron, J. & Morel, A. (2019). Chapitre 3. La réduction des risques, fondement d’une nouvelle addictologie. Dans : Alain Morel éd., Addictologie: En 47 notions (pp. 25-44). Paris: Dunod.

Ces deux ouvrages sont disponibles à la lecture en ligne sur le portail CAIRN.

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