Le psychonaute et l’addict

Tous les consommateurs de substances psychoactives (par exemple : l’alcool) ne sont pas victimes d’addictions, loin de là. Ce n’est pas nécessairement le produit ou l’activité qui crée l’addiction mais plutôt le comportement, le fait de devenir dépendant, les conséquences néfastes sur la vie, l’impossibilité de s’abstenir. Avant que je prenne conscience que j’étais un addict, j’ai entretenu l’illusion ou le fantasme d’être ce que beaucoup appellent un psychonaute, soit, étymologiquement, un navigateur de l’esprit. Le psychonautisme est une activité qui consiste à utiliser des psychotropes dans une quête d’introspection, d’inspiration et d’exploration des états de conscience altérés. Nombres d’artistes, de philosophes et de scientifiques ont été des consommateurs de drogues : citons Charles Baudelaire avec le cannabis, Jean-Paul Sartre avec les amphétamines, Henri Michaux avec la mescaline, la liste est longue… Le psychonautisme ou la psychonautique est une sorte de déclinaison dans la modernité de pratiques ancestrales remontant au chamanisme. Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes utilisent diverses substances dans une quête de sens. L’addict quant à lui, recherche davantage des sensations, il est dans l’excès, la perte de contrôle, la pathologie. Cette représentation de moi même comme psychonaute masquait la réalité de mon addiction, la cachait derrière une représentation positive tout en la justifiant de manière à la fois rationnelle et illusoire. Ceci dit, ne faisons pas d’amalgames, les psychonautes authentiques et non addicts existent et conduisent des vies stables et saines.

Explorateur de la conscience

Le psychonaute encadre son expérience psychédélique et réalise souvent un récit détaillé de cette expérience. Il contrôle le produit consommé, note les dosages, et écrit tout ce qui lui est arrivé le lendemain. Ce sont les fameux trip report que l’on retrouve aujourd’hui sur les forums en ligne, comme psychonaut.fr. La préférence des psychonautes se porte souvent sur des substances enthéogènes, c’est à dire qui produisent une expérience de la transcendance, laquelle constitue une forme de spiritualité postmoderne. La plupart du temps il s’agit de produits hallucinogènes, lesquels sont nombreux et produisent des effets très différents de l’un à l’autre. Cette variabilité de l’expérience vécue fait toute la richesse des trip report : la diversité et l’originalité de ces récits étonnera beaucoup de lecteurs et, malheureusement pour certains, encouragera peut-être certaines personnes à vouloir tenter l’expérience, qui demeure risquée. La familiarisation avec les techniques de réduction des risques est donc un préalable indispensable à la psychonautique, car l’addiction arrive sournoisement, et avance masquée. On notera que l’expérience de la transcendance n’est pas cantonnée à l’usage de produits psychoactifs, en témoigne les pratiques religieuses ou spirituelles, allant de la prière à la méditation, du yoga au taï-chi-chuan.

Psychologie et spiritualité

Les religions n’ont pas le monopole de la spiritualité. Dans l’ouvrage collectif « Psychologie et spiritualité, fondements, concepts et applications, sous la direction de Nicolas Roussiau et Elise Renard, édition Dunod, 2021 » La spiritualité est définie comme « une recherche intérieure, propre à chaque individu en quête de sens et de buts dans l’existence. Elle est associée à une certaine forme d’appréciation de la vie. Il s’agit d’une dimension distincte et universelle de l’expérience humaine. C’est une force qui connecte l’individu avec lui-même, les autres et l’environnement. La conscience de soi et la transformation du soi sont des éléments récurrents qui traduisent une quête intérieure, mais aussi une confrontation à un élément plus grand que sa propre existence. La spiritualité serait un trait naturel chez tous les êtres humains, plus ou moins activée selon les personnes et les nécessités du contexte dans lesquelles elles sont insérées« . De nombreuses études en psychologie démontrent qu’une pratique spirituelle, qu’elle soit religieuse ou pas, favorise les comportements prosociaux, l’acceptation de la réalité dans ses aspects tant positifs que négatifs. En outre, la dimension spirituelle de l’existence, autrefois niée par le scientisme de Freud ou de Watson, peut s’avérer être une ressource pertinente en psychothérapie. Les thérapies existentielles font de la quête de sens une dimension importante du traitement des troubles psychiques, ouvrant la voie à l’intégration du spirituel dans la psychologie. Du côté de la philosophie, nous pouvons également citer l’ouvrage d’André Comte Sponville, L’esprit de athéisme, introduction à une spiritualité sans Dieu, édition Albin Michel, 2006 entre autres nombreux travaux.

L’expérience de l’émerveillement, de la contemplation, de la beauté, de la nature, du moment présent sont autant d’instants de la vie où le spirituel se joint à nous, où la transcendance se manifeste, même subrepticement. L’usage thérapeutique de la pleine conscience, pratique issue du bouddhisme puis désormais sécularisée dans le champ médical est ainsi un bon exemple du lien positif entre psychothérapie et spiritualité. Pour soigner l’addiction, donner à la personne les moyens de retrouver du sens à sa vie me semble très pertinent. Car l’addiction, parce qu’elle envahit tout l’espace vital et mental disponible, enferme souvent les personnes qui en sont atteintes dans la souffrance d’un vide intérieur indépassable, que seul la sensation d’un plaisir chimique, d’un paradis artificiel, semble pouvoir combler. Dans notre société qui nous réduit à des consommateurs, qui marchandise notre attention par la publicité sur tous les écrans, il est plus que jamais nécessaire de se poser et de prendre le temps d’apprécier la vie, de se questionner sur le sens des choses, de s’ouvrir aux multiples dimensions de l’expérience humaine.

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