Le trading : de l’injustice de la perte au mérite du gain

Contexte

Alors que je m’étais expatrié en Mongolie. J’ai suivi pendant un semestre des cours de langue mongole délivré par des professeurs qui ne parlaient aucune langue autre que le mongol. J’étais dans une classe en présence d’élèves qui avaient déjà acquis dans leur pays d’origine les notions de base comme la prononciation de l’alphabet cyrillique. Pour ma part, j’étais complètement perdu et ne comprenais rien. Dans ces conditions, j’abandonnai l’université au bout de six mois pour explorer davantage le pays, et surtout sa capitale, Oulan-Bator (nom qui date de l’époque communiste et signifiant « le héros rouge »). Mon immersion linguistique était un échec d’autant plus facile que ma copine mongole, devenue un an plus tard mon épouse, me traduisait toutes les conversations qui méritaient de l’être. Elle exerçait d’ailleurs comme traductrice pour des touristes durant l’été mongol.

La Mongolie est un état indépendant dont la superficie égale trois fois celle de la France

Une idée pas très lumineuse

Devant la nécessité d’exercer une activité professionnelle dans un pays dont je ne parle pas la langue, au taux de chômage de 33% et sans compétences moyennables sur le marché du travail local, j’explorai sur internet des possibilités de travail à distance. C’était en 2013 et le télétravail était beaucoup moins développé qu’aujourd’hui en 2024. Je suis tombé sur une publicité accrocheuse qui expliquait que les marchés financiers étaient accessibles à tous et toutes, avec un apport de 50 à 100 euros seulement. Séduit, je m’inscrit auprès d’un courtier sur le marché du FOREX (Foreign Exchange), où s’échangent les devises. Il y est possible d’acheter ou de vendre des euros contre des dollars et vice versa dans la plupart des monnaies du monde. Changeant de courtier après avoir réalisé que celui que j’avais choisi était logé dans un paradis fiscal, j’optai pour un courtier New-yorkais de bonne réputation et proche de Wall Street.

Il n’existe pas d’argent magique, sauf pour les héritiers, les corrompus et les gros actionnaires

Et le jeu commença

Il existe une information, que les courtier doivent désormais obligatoirement afficher pour les clients européens, c’est que 70% des particuliers perdent de l’argent en faisant du trading. Mais je me projetais de toute évidence dans les 30% restant, confiant dans ma propre intelligence face à ce monstre monétaire qu’est le Forex. Avec ce nouveau courtier, je pouvais trader des indices boursiers (CAC40, DAX30, SP500…etc.). Le produit financier utilisé était le CFD (Contract For Difference) qui a la particularité de placer des options d’achat ou de vente avec de très forts effets de levier qui permettent de gagner ou de perdre comme si nous disposions de 100 à 1000 fois plus que l’argent réel investi. Je suivi des cours sur internet pour apprendre le trading et très vite, cette activité occupa tout mon temps. En Mongolie, pas besoin d’ADSL, on installa la fibre optique directement, ce qui me permettait d’avoir une très bonne connexion avec les marchés. Je commençait pas des petits trades avec des petits gains et des petites pertes. A chaque fois que j’achetai par exemple du Yen en Dollar ou de la Couronne Norvégienne en Euro, une excitation forte se développait en moi : est-ce que le marché allait prendre la direction me permettant d’engranger des gains ou l’inverse ? Déjà, même avec des petits montants, je réalisai l’une des lois psychologiques fondamentales du trading : la perte génère des émotions beaucoup plus fortes que les gains. Et là se creuse le trou noir financier de l’addiction financière.

Les marchés financiers sont par nature imprévisibles, n’en déplaisent aux statistiques

Addiction aux marchés financiers

Je diversifiai mon portfolio : je commençais à acheter et vendre de l’or, de l’argent, du cuivre, du palladium, des indices boursiers, bref, tout ce qui était éligible à des CFD à fort levier. J’utilisais des fonctions mathématiques pour m’aider. En trading il existe deux approches complémentaires : l’analyse fondamentale, c’est-à-dire celle de la macroéconomie (chiffres du chômage américain, évènements géopolitiques dans les pays producteurs de pétroles, statistiques de croissance dans la zone euro..etc.) mais aussi l’analyse technique (courbes stochastiques, nuages ichimoku, lignes de tendances). En théorie, la loi de la réussite est simple : le marché a toujours raison et il faut toujours respecter les tendances. En principe, c’est très difficile à réaliser. Car lorsqu’un marché bat son record de prix à la hausse, on a naturellement envie de vendre, et l’inverse pour les records de prix à la baisse. Et pourtant, c’est ainsi que l’on gagne, si tant est que l’on puisse gagner.

Voilà à quoi ressemble l’évolution des prix sur un marché : représentation par bougies

Mon épouse croyait en ma capacité à nous rendre riche via ce moyen. Croyance étayée par une enfance marquée par la pauvreté et la famine, renforcée par le développement très rapide du pays grâce aux mines de charbon, de cuivre, d’uranium et j’en passe. Certain analystes financiers osaient affirmer que la Mongolie serait le prochain Koweit : des richesses énormes dans son sous-sol et une toute petite population (3 millions d’habitants, dont la moitié à la capitale) pour se partager le butin. A ma connaissance, ce n’est pas le chemin qu’a pris le pays, victime de la fameuse malédiction des ressources naturelles : la question de leur partage qui génère de la corruption à grande échelle et nuit au développement social.

Loin de chez moi, je n’avais pas grand chose à perdre à passer mes journées devant mes écrans à faire du trading, sauf de l’argent. La Mongolie, et Oulan-Bator, pourtant insécures, étaient pour moi un refuge. Ainsi de 2013 à 2015, je perdis des milliers d’euros en trading. La raison est simple. Pour réussir en trading, il ne faut pas être très intelligent ou accumuler les connaissances, il faut juste être patient, savoir prendre ses bénéfices avant que le marché ne se retourne et ne pas vivre les pertes comme des traumatismes. Psychologiquement, je n’étais pas du tout compatible avec l’exercice de cette activité et je rejoignis assez rapidement les 70% de particuliers qui perdent de l’argent avec le trading par produits à effets de levier. De fait, j’étais chaque jour dans un état de rechute. Chaque perte entraînait une nouvelle opération financière, même quand elle était manifestement absurde.

Ajoutez à cela la codéine que je consommais en Mongolie et je me retrouvai dans une double addiction, en plein déni du caractère addictif du trading. Toute perte était ainsi vécu comme une injustice, et tout gain comme un mérite. Or ce n’étais pas le cas. C’était le hasard, avec son lot de chance et de malchance, associé à mon incapacité à m’arrêter lorsque j’engrangeais des pertes comme des bénéfices.

La seule tendance certaine : au final, mes pertes dépassèrent mes gains
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