Voici ma note de lecture pour l’ouvrage « Les conduites addictives », d’Alain Morel et Jean-Pierre Couteron (2008) aux éditions Dunod,

Voilà un ouvrage agréable à lire et qui permet de développer une approche systémique et expérientielle des addictions. Postulant que le sujet est le premier expert de sa vie, les auteurs proposent de replacer les addictions dans le cadre à la fois social et politique dans lequel elles se développent, tout en proposant des outils de compréhension issus de divers travaux. La lecture est facile, ce qui rend l’ouvrage, de 336 pages, accessible à tous et toutes. Signe de la qualité de l’ouvrage, j’ai pris 17 pages de notes.
Voici quelques extraits choisis ci dessous.
Sur l’expérience et la construction de soi :
« Une expérience se constitue à la fois du ressenti et de l’expérimentation : l’acte permet à l’individu de rencontrer une situation et une émotion, d’où il reçoit information et formation. Faire une expérience, c’est ainsi essayer et éprouver, tant du côté du plaisir et de la découverte que de celui de la limite et de la douleur. C’est aussi poser un acte, une conduite, qui va déterminer une transformation de soi et du monde. En ce sens, l’acte déclenche une expérience et permet à l’individu d’exercer le pouvoir d’interférer sur son vécu et de « construire » une identité, une façon d’être. La capacité à faire un usage approprié de ce pouvoir de l’acte appartient entièrement au sujet. Elle est notamment déterminée par ses propres conflits internes et son histoire. » (page 17)
Sur l’expérience de l’addiction :
« Ainsi, par les effets du produit, l’usager de drogues tout à la fois dérègle et tente de gérer les systèmes biologiques d’intériorisation de l’ensemble de l’expérience et, ce faisant, se crée une néo-expérience. En intervenant chimiquement sur la genèse des émotions et des affects, il modifie son rapport au monde et peut s’en absenter partiellement. L’investissement total sur le produit agit comme une « anti-pensée » et conduit à la réduction de la dimension de sujet. Sur le plan thérapeutique, l’enjeu sera donc à la fois de redonner le goût et les possibilités à « l’être là » (Heidegger), aux interactions sociales, à d’autres modes de gestion des émotions, à la réappropriation de la pensée et de nouvelles capacités au plaisir, mais il sera aussi d’apporter un maximum de sécurité psychique étant donné l’angoisse que suscite le renoncement aux délices de l’absence. » (page 23)
Sur le contexte social et anthropologique :
« Toute la technologie moderne est au service de cette définition du bonheur à partir de la consommation d’objets répondant à un besoin insatiable de vitesse, d’instantanéité de réponse à tous nos maux, qu’ils soient dus aux contraintes de la vie elle-même ou qu’ils soient produits par la société.Cette maximalisation de l’existence et ses promesses de repousser toutes les limites humaines s’accompagne parallèlement d’une recherche des moyens pour en minimiser le plus possible les conséquences. Au risque parfois de s’aveugler. Des sportifs récusent les méfaits du dopage et la perversion des valeurs du sport qu’il induit. Le consommateur voudrait oublier que produire et consommer des biens, pousser à la recherche de satisfactions toujours plus immédiates et intenses, ne peut se faire sans tenir compte des limites des ressources. Les conséquences actuelles de cette maximalisation de la vie nous contraignent pourtant à nous questionner sur le risque d’épuisement de l’individu et de la planète… » (Page 107)
Sur la réduction des risques :
« Pour la réduction des risques, l’objectif est en priorité de prévenir les dommages occasionnés par les consommations de substances psychoactives. Il ne s’agit pas de s’attaquer à ce qui motive la consommation, mais d’en maîtriser, autant que faire se peut, les effets nuisibles. Il ne s’agit pas de stopper l’addiction mais d’en éviter les complications, et de le faire en impliquant l’usager lui-même. Il est le premier acteur de sa consommation et de son éventuel changement de comportement d’usage, il est le meilleur expert pour savoir comment le faire (Péquart, Lacoste, 2007). L’intervention consiste alors à « aller vers », à entrer en contact avec les usagers pour mettre en place, en fonction de leur situation, des réponses à leurs besoins immédiats (ouverture de droits, hébergements…) et les outils permettant d’éviter certaines complications (information, matériel stérile…). Nous avons déjà vu les remarquables résultats de cette approche vis-à-vis de l’épidémie de sida parmi les injecteurs et vis-à-vis du risque d’overdose d’opiacés. » (Page 228)
Commentaire personnel
Je conseille ce livre à tous les lecteurs qui désirent explorer les addictions du point de vue de leur contexte social. L’accent est mis sur les stratégies de prévention, les modes d’intervention davantage que sur les causes et les mécanismes des addictions, qui sont pourtant présentés de manière claire et synthétique. L’approche expérientielle et systémique est une clé utile pour comprendre les addictions, et cette lecture est un bon complément à celle d’ouvrage plus centrés sur les aspects psychopathologiques.


