Pour se libérer des addictions, il nous faut apprendre, ou réapprendre, à vivre sans les produits et/ou les comportements addictifs. Mais vivre sans est une définition négative, comme si l’on ôtait quelque chose à la vie. En réalité, et comme l’addiction supprime beaucoup de choses primaires reléguées à un statut secondaire, c’est apprendre à revivre avec toutes ces choses qu’on a perdu, sacrifié pour le plaisir qui s’est, un temps, fantasmé comme un absolu. Vivre sans les produits, c’est abandonner peu pour retrouver beaucoup. Pourtant ce n’est pas ainsi que l’addict sorti d’un sevrage le vit. Pour l’addict, le produit était tout, tout ce qui comptait, tout ce qui importait, tout ce qui organisait sa vie quotidienne.
L’abstinence est une indépendance
L’abstinence est là. Étrangement là. Cela fait six mois que je ne l’avais plus connu, que mes capacités cognitives étaient réduites, que mon régime psychique était celui d’une junte militaire, d’une dictature polycéphale, sorte d’oligarchie chimique qui avait pris le pouvoir par l’intermédiaire de e-liquides de cigarette électronique dans lesquels étaient dilués mes produits. Je vapote toujours, mais la silencieuse et indolore nicotine, sans effets secondaires, addiction sans conséquence et relativement peu accrochante. Mes articles sur ce blog deviennent plus littéraires, des idées de romans refont surface, l’écriture redevient peu à peu le médium artistique par lequel je vais pouvoir continuer de m’explorer et d’explorer le monde, en écho perpétuel avec mes lectures, qui s’émancipent progressivement du seul champ de l’addictologie. L’abstinence est aussi une nouvelle expérience : celle d’une liberté concrète, d’un détachement choisi, quoique forcé par la torture de la buprénorphine qui m’aura nettoyé les synapses bien trop brutalement.
L’abstinence est une existence
De la même étymologie que l’extase, l’existence c’est être placé dans une condition où le devenir précède l’identité, construite dans l’après-coup. Pour certains addicts, et on l’a vu autour de la thématique de la réduction des risques, l’abstinence n’est pas le seul objectif, ou l’objectif premier. Pour ma part c’est l’objectif nécessaire car avec les produits, la modération est impossible, d’où mon interdiction d’alcool à vie, comme de tout produit psychotrope. Le jour où le cannabis sera légalisé, jour qui arrivera à la faveur de politiciens réalistes et pragmatiques plutôt qu’égocentriques, je devrai rassembler toutes mes forces pour éviter de me rendre dans les futures officines de ce produit déclinable en une vaste variété de modes de consommation. Exister, c’est affirmer la primauté du dehors sur le dedans. Inutile dans ces conditions de psychanalyser pendant de longues années le passé, sauf s’il ne passe pas. Pour ma part, le passé est fini, terminé, révolu. Seule mes lettres à l’avenir écrites il y a plus d’une décennie appellent à des réponses dont l’écriture n’est pas aisée.
L’abstinence est une résistance
« Vivre libre ou mourir », telle était la devise des résistants du plateau du Vercors massacrés par les nazis en 1944 alors que se profilait à l’horizon la libération de la France. En ce sens, l’abstinence est une résistance, car il s’agit vraiment de mettre en jeu sa vie pour qu’elle soit libre de ses trajectoires et de ses choix. Après la semaine de l’effroi, je reprends ma vie sur la lancée déjà esquissée : lectures intensives, écriture selon les inspirations du moment, promenades si la météo ne me dissuade pas trop, et je profite d’un corps complet, qui a retrouvé l’équilibre de sa santé psychique et physiologique. J’ai un grand besoin de routine, de stabilité, de sécurité et de soutien affectif. C’est à ce prix que l’abstinence peut finir son installation, car le logiciel en question n’est pas encore complètement décompressé de son archive. J’ai encrypté l’accès aux sites de vente en ligne de mes produits psychoactifs, sur cet ordinateur du moins, afin de rendre toute rechute plus complexe et d’imposer, entre le craving et l’achat un temps technique dans lequel une réflexion apte à stopper la rechute peut prendre le temps de se déployer sereinement.
Bientôt la clinique.
Afin de consolider cette abstinence nouvelle, j’ai complété avec mon addictologue et mon éducatrice spécialisée les dossiers d’admission dans deux cliniques qui vont me prendre en charge pour un séjour de 4 semaines, afin de donner à mon élan le tremplin vers la durabilité solide dont j’ai tant besoin pour continuer à vivre. Mon avenir sera celui d’une expérience sans substances psychoactives hors prescription. La clinique me permettra de goûter à un repos et à des soins bien mérités. Je ne vais pas en clinique pour des vacances, mais bien par nécessité et dans le cadre de mon traitement. Il est d’ailleurs assez triste de constater que le niveau de confort en clinique dépend du niveau de richesse, les plus pauvres n’ayant droit qu’au strict minimum. N’étant pas riche, je me contenterai de peu, ce qui sera, je l’espère, suffisant pour ne pas fragiliser les traitements dont j’ai le besoin impératif à ce stade de ma vie. Je continuerai, dans la mesure du possible, de mettre à jour ce blog sous forme d’un journal de post-cure, terme issu de l’ancien schéma cure de désintoxication / post-cure / maintien et dont seule la phase du milieu se fait encore, hors drogues dures, en clinique hospitalière. Ce sera l’occasion d’un témoignage de plus dans un blog qui va bientôt atteindre la centaine d’articles, avec plus de 620 visites depuis sa création et un référencement qui commence à porter ses fruits.


