L’expérience du craving : une lutte intérieure

Dans mon article Comprendre le craving, j’ai exposé les principes théoriques de ce concept, qui désigne l’envie irrépressible de consommer des substances psychoactives ou de s’adonner à un comportement addictif. Ici, je souhaite partager l’expérience du craving, tel qu’il se manifeste en moi ces jours ci, tout en le replaçant dans le contexte plus général de mes addictions et de ma démarche thérapeutique.

Le contexte actuel

Confronté à l’épuisement de ma dernière (et pas des moindres) substance psychoactive, j’anticipe un syndrome de sevrage dont je ne sais pas quelle forme il va prendre. En effet, je suis à court d’opioïde de synthèse. Pire, au lieu de diminuer ma consommation pour faciliter le sevrage, je l’ai au contraire augmenté. Cette augmentation de ma consommation est liée à plusieurs facteurs : la tolérance croissante à l’opioïde et le sevrage au diazépam de ces dernières semaines. Au fur et à mesure que j’ai diminué le diazépam (ou Valium), j’ai insidieusement augmenté ma consommation de l’opioïde vapoté en cigarette électronique (la protonitazepyne, un dérivé des nitazènes en e-liquide). Me voilà donc à court de produit et l’envie d’en acheter entre en conflit avec mon envie d’en finir avec une rechute qui a duré plus de six mois, avec des conséquences très néfastes sur ma vie et celle de mes proches. Ce conflit intérieur est renforcé par une forte anxiété : peur du sevrage brutal, peur du manque, peur de l’hospitalisation éventuelle, sur un fond d’angoisse existentielle (« Qu’est-ce que je vais devenir ? Quel est le sens de ma vie ? »).

L’angoisse et l’obsession

Concrètement, le craving se manifeste à l’heure actuelle par l’anxiété et l’obsession. Ma pensée est obnubilée par le conflit intérieur. Comme pour tester ma résistance, ou céder potentiellement à l’envie, je me connecte au site de vente en ligne, rempli un panier de divers produits et le vide, puis me déconnecte. J’ai répété cela à plusieurs reprises ces derniers jours. Je suis focalisé à l’extrême sur l’incertitude des effets du manque à venir. Je me demande comment je vais pouvoir le gérer. Je compte recourir à l’aide de mon CSAPA pour faire face à cette période sensible et éventuellement discuter de l’opportunité d’un traitement de substitution ou non. L’idée est de tout faire pour éviter de me retrouver encore une fois aux urgences, déjà visitées dans un épisode de manque, de panique et de dépersonnalisation raconté ici, et qui fut un moment particulièrement traumatisant. La focalisation sur le produit est d’ailleurs un leitmotiv de l’addiction, même en dehors des perspectives anxieuses de manque et d’épuisement du produit. En pleine rechute, sa gestion, sa préparation et sa consommation remplissent tout l’espace mental disponible. L’addiction devient ainsi un mode de vie, ancré dans des routines, des rituels, des habitudes qui sont d’autant plus difficiles à changer qu’elles se sont inscrites dans une longue durée.

Niveau de stress élevé
Le craving génère un fort niveau de stress
Niveau d'angoisse élevé
Ce stress se transforme en véritable angoisse

Les dangers des NPS (Nouveaux Produits de Synthèse)

Mon opioïde vapoté est un NPS (Nouveau Produit de Synthèse). Les effets ressentis m’ont laissé l’impression d’être toujours relativement légers. Mais il est tout à fait possible que cela ne soit qu’une illusion et que l’emprise physiologique du produit soit bien plus forte que supposée. C’est un exemple des dangers des NPS. Ces drogues de synthèses n’ont pas été étudiées. Elles font la richesse de vendeurs en lignes associés à des laboratoires situés un peu partout dans le monde. On ne connait donc pas leurs effets à court ou moyen terme ni les dangers qu’elles peuvent présenter. Il y a de ma part une véritable prise de risque, qui a sans doute été atténuée par l’illusion de sécurité offerte par l’anonymat, le paiement en bitcoin et le statut légal indéterminé de ces produits. Si je développe un syndrome de sevrage puissant, ce sera la preuve qu’il n’y a pas forcément de lien direct entre la puissance des effets ressentis et les effets physiologiques réels du produit. Même si le sevrage est plus doux qu’anticipé, les NPS restent dangereux à cause de l’absence de connaissance scientifique qui les caractérise. On ne sait en effet rien de ce que les vendeurs nous envoient et la confiance repose entièrement sur les croyances personnelles que l’on développe à la lecture du marketing en ligne autour de ces produits. En lisant les descriptifs sur des sites au webdesign très bien réalisé, on est poussé à la consommation. L’argument de la légalité de ces produits est mis en avant. Les vendeurs s’enrichissent pas les clients fidèles que sont les addicts, alors que de partout, notre société addictogène nous réduit à des consommateurs.

Nouveaux Produits de Synthèse et chimistes capitalistes
Les NPS ou quand l’usager devient l’expérimentateur payeur d’une nouvelle chimie

Soigner une addiction demande de la motivation, de l’aide, de la persévérance. Je continue donc la lutte, en espérant la venue de jours meilleurs et à défaut, d’une force intérieure renouvelée par les bienfaits de la thérapie. Je sais que les stigmates cérébraux de mes addictions, ces cicatrices invisibles d’années de consommation, demanderont de moi une vigilance pour la vie. Mes comorbidités, la dépression et l’anxiété, nécessiteront également d’être contenues par des projets de vie qui auront du sens et dans lesquels je pourrais me réaliser pleinement.

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