La première rencontre avec une substance psychoactive me fut proposée par une amie proche, Gwen, qui souhaitait selon ses propres mots m’initier au cannabis pris sous forme de résine de THC, le fameux « shit ». C’était durant le printemps de l’année 2010, j’étais militant dans un syndicat étudiant proche des jeunesses socialistes et communistes. Nous avions développé une amitié fondée sur un même rapport au monde, le partage de lectures communes et la redécouverte ensemble des années 1960 et 1970, grand moment de libération social, tant au niveau musical que littéraire et psychoactif. Nous organisions des lectures communes, à plusieurs voix, comme de cet ouvrage de Jerry Rubin, Do It ! Scénarios de la révolution, écrit en 1970, avec une introduction rédigée par Eldridge Cleaver, membre des Black Panther. De cet ouvrage une phrase m’est restée en mémoire et résumait bien la radicalité utopiste qui marquait ces moments : « Une société qui abolit toute aventure fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible« . Nous lisions aussi des poèmes de Rimbaud, toujours d’actualité tant pour leur beauté que pour nourrir par la poésie la révolte intérieure. Il y a eu aussi Sur la route de Jack Kerouac, ou encore une biographie de la vie déjantée de Jim Morrison intitulée Personne n’en sortira vivant.
Gwen me fit fumer mon premier joint un soir d’octobre 2010 Je m’en souviens très bien. Après quelques inspirations, les choses autours de moi ont commencé à devenir toutes bizarres. Mon attention se portait sur des objets, qui devenaient soudainement fascinants, comme si personne n’avait jamais réalisé à quel point leur intense étrangeté avait de l’importance dans ce monde. Gwen riait amicalement de me voir ainsi parcourir ma chambre étudiante dans la contemplation béate de tout ce qui s’y trouvait. Une bouteille d’eau retenu mon attention et fini par me faire mystérieusement éclater de rire, après que je lui rendis une prière totémique.
Le rire fut communicatif et nous rîmes ensemble encore un bon moment. En fond sonore, Gwen avait apporté la musique du groupe The XX, parfait à ses dires pour les trips au cannabis. Et elle avait raison. Le troisième morceau de l’album commençait par un très lent crescendo de sons électroniques très doux, pendant au moins 5 minutes, avant d’exploser soudainement dans une musique qui se balançait sur des rythmes exaltants. Enfin, nous dormîmes pas trop tard car nous avions tous les deux des cours le lendemain. On s’endormit au son de la musique. Et là, l’expérience psychoactive devint vraiment psychédélique : des visualisations agitaient mon esprit, très riches en couleurs, formes et scénarios. C’était comme si un petit cinéma ambulant avait pris place dans ma tête et y projetait des films d’animation. C’était déconcertant mais extrêmement plaisant, car je n’avais aucune idée des capacités de notre cerveau à générer une telle expérience. Cet initiation ne fut que le début d’un très long parcours de consommations de produits psychoactifs de 2010 à 2021, avec une rechute en 2023.
