Mes pulsions alimentaires

La consommation addictive de cannabinoïdes de synthèse entre 2017 et 2021 m’a fait prendre une habitude alimentaire néfaste : la compulsion de nourriture. C’est un effet commun du cannabis et des cannabinoïdes que de provoquer un appétit rapide et féroce, la nourriture acquérant alors un goût particulièrement prononcé. J’ai gardé, hors consommation de ces substances, une compulsion alimentaire qui s’étiole lentement. De constitution plutôt mince avant 2017, je suis désormais en surpoids, situation qui est une des conséquences de l’addiction. Une autre cause de mon surpoids : mon traitement médicamenteux à base de médicaments psychotropes. Antidépresseurs, anxiolytiques et antipsychotiques (régulateurs de l’humeur) engendrent tous une prise de poids et une augmentation de l’appétit contre laquelle il est difficile de lutter. Cet effet est souvent mentionné dans les notices avant même la liste des effets indésirables, tant elle est fréquente.

La compulsion alimentaire se caractérise par un besoin (et non un désir) de nourriture en dehors de toute sensation de faim, ou alors par une mise en place d’une faim excessive, d’origine psychique. Il s’agit de manger en dehors des repas, et dans mon cas, le soir ou la nuit. Cette compulsion apporte sans doute son lot de satisfaction psychique : se remplir, à l’instar des boulimiques, est une forme de lutte contre un vide intérieur. A la différence des boulimiques, il n’y a pas de dévoration indistincte et de vomissements dans mon cas et la satiété vient assez rapidement. Je me fixe régulièrement sur des aliments fétiches qui ressemblent à des objets d’addiction. En ce moment par exemple, j’ai une consommation forte de pommes et de céréales mélangées à des yaourts à la vanille. Dans l’idée de maigrir tout en conservant la satisfaction pulsionnelle, j’ai tout simplement supprimé les repas du midi, équilibrés et sains. Nous verrons si cette stratégie fonctionne.

L’idée de maigrir est aussi un impératif social, celui de correspondre à tout prix à une norme qui considère les rondeurs (au niveau du ventre et du visage dans mon cas) comme anormales et malsaines, ce qui n’est pas forcément le cas d’un point de vue physiologique.

Malgré cela, je vis mal ma situation de surpoids. J’ai l’impression qu’elle me rend moche et favorise une forme d’exclusion sociale. Il me faut maigrir pour restaurer l’estime de soi dans une représentation socialement et familialement acceptable de mon poids. Ainsi les injonctions à ne pas trop manger, la surveillance maternelle à ce sujet ponctuent mon quotidien. Cette habitude, ou compulsion, acquise par l’effet de l’addiction, s’est maintenue durant mes deux années d’abstinence de 2021 à 2023. Il n’est pas impossible qu’elle persiste au delà de ma future abstinence, une fois la rechute actuelle, sur le déclin, terminée.

J’attire l’attention sur l’effet paradoxal des injonctions à maigrir : en nourrissant une faible estime de soi, elles renforcent le caractère satisfaisant de la compulsion alimentaire : se remplir par la recherche de sensation du goût. Me rappeler presque tous les jours que je suis trop gros ou que je mange trop est donc contre-productif du point de vue de la compulsion. La diversité des formes de corps participe de la différence naturelle entre les individus. La norme sociale du corps mince peut crée une stigmatisation et des discriminations qui sont d’autant plus difficiles à vivre qu’elles s’enferment dans leur effet paradoxal de renforcement du mal ainsi désigné. J’aimerais qu’on ne me parle plus de mon poids, ce qui faciliterait, je pense, l’arrêt de ces compulsions alimentaires.

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