Plaisir du calme et procédés autocalmants

Apaisement, détente, soulagement, paix, quiétude, sérénité, tranquillité : le calme nous calme déjà par la liste de ses synonymes. Son étymologie est celle du grec « kauma », qui signifie chaleur. Étrange paradoxe que cette origine dans la chaleur quand on sait que la température c’est la mesure du niveau d’agitation des molécules et des atomes. Plus il fait chaud, plus la matière est agitée. Au contraire le froid ralenti la matière, jusqu’à l’impossible zéro absolu, état d’immobilité totale de la matière, interdit de toute réalisation par les lois de la physique. On peut s’en rapprocher, on ne peut pas le réaliser.

Pourtant la chaleur nous immobilise, le corps ici, ne se trompe pas d’étymologie, le calme nous ralentit chaleureusement. Pour les navires à voile, le calme plat de la mer est dangereux car il immobilise, rendant la navigation impossible. Le calme est en revanche favorable aux galères où il faut ramer, et défavorable aux voiliers qui dépendent du vent. Le calme psychique, c’est le relâchement de toutes les tensions, qui vont et viennent du cerveaux aux muscles par l’intermédiaire des nerfs. J’adore le calme. L’absence, ou la réduction maximale du bruit, est favorable à mon sommeil. D’où ma honte rétrospective lorsqu’on m’annonce que j’ai ronflé durant la nuit. La pénombre, l’obscurité, sont également favorables à la détente. Dans le calme, je me retrouve serein, en accord avec le monde extérieur qui répond favorablement à ma demande intérieure.

Se calmer, lorsque je suis en colère, relève de l’utopie personnelle : lieu de nulle part et lieu du bien par excellence. Le topos du calme fait rêver. Ainsi j’envisage la réussite d’une séance de psychothérapie par le calme qu’elle me procure, et à l’inverse, ce qui me bouscule, parfois par nécessité, m’agite dangereusement. Une interprétation psychosomatique des addictions les définit comme des procédés autocalmants. C’est sans doute l’une des nombreuses quêtes qui m’a conduit à l’abus de produits, en particulier les anxiolytiques de la famille des benzodiazépines.

Dans le numéro 4 de la Revue française de psychosomatique, paru en 1993, on trouve une définition des procédés autocalmants : « Les procédés autocalmants ont une portée générale. Ils font partie de l’économie psychosomatique de tout un chacun et de sa manière d’être au monde. C’est en fonction de la place qu’ils occupent au sein de cette homéostasie que nous pouvons les apprécier. Chez certains, ils appartiennent à la psychopathologie de la vie quotidienne et chacun peut retrouver en lui-même des exemples personnels. Tel éprouvera le besoin de déambuler pendant qu’il travaille, tel autre, au cours d’une discussion, se mettra à fumer ; le troisième, au cours d’une réunion griffonnera des croquis sur une feuille de papier. Les exemples sont aussi nombreux qu’individuels. Dans tous les cas, ces procédés n’empêchent pas le sujet de penser : au contraire, ils semblent faciliter, voire libérer sa disponibilité à penser. (…) En tant que procédés, on peut les définir comme des moyens utilisés par le moi pour s’adapter à une certaine conjoncture. Ils entrent dans le cadre général de défenses qui assurent la protection du moi contre un danger qui menace son intégrité. Ces moyens de défense s’opposent, par leur nature, au refoulement et à la production de symptômes névrotiques. (…) Le terme autocalmant indique que le moi est à la fois sujet et objet de ces procédés qui visent à faire revenir le calme, et s’oppose aux cas où la source calmante est fournie par un objet extérieur, par exemple la mère pour son enfant, dans certaines conditions un thérapeute pour son patient ou le socius pour l’ensemble des individus.  » Claude Smadja & Gérard Szwec.

J’ai abondamment investi les produits psychoactifs comme des procédés autocalmants, jusqu’à franchir le pas du normal de la psychopathologie de la vie quotidienne à la psychopathologie des addictions. Désormais, je suis calmé, un calme abstinent, mais aidé par ma prescription thérapeutique de diazépam cette semaine. Mon tempérament habituel est calme. On m’a souvent qualifié de posé, de réservé, de calme. Mais il y a un sérieux revers à cette drôle de médaille. Lorsque le calme disparaît, je passe directement au stade de la tempête. Lorsque mon calme s’échoue, c’est la violence qui le remplace, violence verbale et jamais physique, colère impossible à stopper. Je deviens alors l’ouragan de ma psyché, et mes vents verbaux s’abattent sur quiconque se met en travers de mon passage. Retrouver le calme est alors très difficile, voire douloureux. Dans le cyclone de mes émotions déliées, il n’y a plus de terres ni de reliefs à même de me stopper. Il faut attendre que cela passe, au grand désespoirs des victimes potentielles que je blesse contre ma volonté et honteusement.

Le retour au calme c’est toujours quitter le pathologique pour revenir à la normale. Ceci dit, il peut apparaître que mon calme soit excessif, dans ma démarche trop ralentie, mes pas rapetissés, ma posture mal assurée. Comme c’est la dose qui fait le poison, comme le disait Paracelse ; je dois me garder de trop prendre de diazépam, sous peine de basculer sans avertissement, dans l’état comateux, fantomatique, spectral, les pensées ralenties jusqu’à l’impossibilité de faire sens.

En conclusion, chacun de nous dispose de ses propres techniques pour se calmer. Habiter le calme profond ne semble pouvoir se faire que dans un hôtel psychique, vacances temporaires dont il faudra bien un jour revenir. Je termine cette divagation sur le calme par une citation d’Arthur Schopenhauer dans Les aphorismes sur la sagesse de la vie (1851) qui disait : « L’homme qui reste calme dans les revers, prouve qu’il sait combien les maux possibles dans la vie sont immenses et multiples, et qu’il ne considère le malheur qui survient en ce moment que comme une petite partie de ce qui pourrait arriver. » Ainsi, à chaque temps son calme, à chaque calme son temps.

Sources :

Les procédés autocalmants, Revue Française de Psychosomatique, 1993/2 (n°4), Presses Universitaires de France. (Disponible sur CAIRN)

https://www.cnrtl.fr/definition/calme

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