
Psychanalyse des addictions, de Gérard Pirlot, 3e édition, Dunod, 2019, est un ouvrage qui requiert un niveau de lecture élevé et des connaissances préalables en psychanalyse. L’écriture est scientifique, ponctué d’un très grand nombre de références, ce qui permet de donner à l’ouvrage une véritable pertinence dans l’étude du sujet. La première partie de l’ouvrage a le mérite de replacer la problématique des addictions, que Freud n’a pas directement étudié, dans l’œuvre du fondateur de la psychanalyse.
On retiendra que l’addiction témoigne d’un échec de l’introjection, d’une substitution des sensations aux émotions et qu’elle s’inscrit bien dans un paradigme psychosomatique. La bibliographie très complète à la fin de l’ouvrage peut servir à l’étudiant qui cherche à approfondir le sujet et trouver les sources des références abordées dans l’ouvrage. Ceci dit, on ne peut recommander l’ouvrage au grand public, à moins d’avoir lu Freud et d’avoir sous la main le célèbre Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis.
Voici quelques extraits utiles :
La notion de craving, page 68 :
« Précisons que le craving est la recherche compulsive de drogue, traduction du besoin de celle-ci. (…) Le verbe transitif to crave signifie dans le dictionnaire Webster de 1913 : « Demander en implorant ou bien avec humilité ». Comme verbe intransitif, to crave veut dire « ressentir un appétit insatiable, un fort désir » (…).Le craving est ainsi lié à un désir aigu (…). Le terme dipsomanie, qui vient du grec dispo, « soif » et mania « folie » en est proche, et désigne un désir morbide pour l’alcool. Le craving relève ainsi d’un besoin impérieux, que ce soit de nourriture ou de produit toxiques. Diverses drogues comme la cocaïne, l’ecstasy, le tabac ou l’alcool déclenchent très facilement des phénomènes de craving. La prise de drogue dans le craving subvertirait autant les besoins sexuels que ceux alimentaires et d’auto-conservation, appartenant de fait à une forme de « néo-besoin ». Ces « néo-besoins » sont autant de tentatives de lier, dans le quantitatif, des énergies fortes à peine liées « au-delà » du principe de plaisir.Ajoutons qu’aujourd’hui, les phénomènes de craving sont mieux identifiés sur le plan anatomo-physiologique en fonction des différents produits. L’imagerie médicale a en effet apporté un nouveau regard au phénomène des addictions qui, loin de s’opposer à l’approche psychanalytique et psychosomatique, peut tout à fait conforter celle-ci. »
Sur les états-limites et l’addiction, page 93 :
« En ce sens on saisit le potentiel « traumatophilique » que porte en elle-même la quête excitationnelle addictive : elle place l’excitation en lieu et place de « répéter » le traumatique, de reproduire la trace de la « pliure » même sur laquelle le psychique est resté collé au soma, ceci en l’ « actualisant » dans un comportement (addictif) ou une sensation (somatique), affectant le moi dans la détresse des temps anciens de son impuissance face au trauma. En ce sens la quête d’excitation propre au comportement addictif cherche à répéter le défaut de « pare-excitation » dont a témoigné l’environnement, l’autre, à certains moments – problématique au cœur même de celle de nombre de cas limites. »
Sur la métapsychologie de l’addiction, page 150 :
« Le sujet addict, comme souvent l’adolescent, et plus généralement le sujet alexithymique, tentera de substituer les sensations aux émotions toujours susceptibles de surprendre son moi et de mettre celui-ci en situation d’une passivité proche d’une détresse traumatique générée par des affects liés aux objets d’attachement. Comme le remarque R. Roussillon, « les sensations permettent de se sentir exister en coupant des liens libidinaux qu’entretient la dépendance avec l’objet. En ce sens, elles sont un moyen de lutte contre la dépression mais à la longue leur effet anti-introjectif vulnérabilise le sujet. Dans l’escalade mortifère vers laquelle il se trouve pris, il est contraint d’augmenter les sensations pour pouvoir continuer à se sentir exister, et combler son sentiment de vide interne ». Ici la difficulté de séparation n’est pas élaborée mais contournée, et, remplacée par une relation de dépendance toxicomaniaque dans une consommation de l’objet du besoin qui peut se concevoir sans fin, tandis qu’est évitée toute confrontation au manque de l’objet d’attachement. »
Commentaire personnel :
Lecture pas facile, on retrouve la propension assez désagréable parfois, de la psychanalyse à inventer toute sorte de mots, à jouer avec le langage pour développer une foule de concepts souvent obscurs. A contrario, l’avantage de psychanalyse est d’aborder les troubles psychiques du point de vue du sens historique qu’ils ont pour le sujet. La psychanalyse n’a cependant pas le monopole du sens en psychologie clinique (voir les approches existentielles par exemple). Aider un sujet à donner du sens à ce qu’il vit est à mon avis un point incontournable de toute démarche psychothérapeutique. Le thérapeute a ici un rôle de facilitateur à l’expression du sujet, et ne doit pas forcer l’interprétation. Je n’ai pris que 7 pages de note de cette lecture, pour un ouvrage de 300 page, c’est relativement peu. C’est pourquoi je le conseille davantage aux étudiants et aux psychanalystes eux-mêmes, qui désirent appréhender les problématiques de l’addiction au sein de leur propre corpus conceptuel et théorique.


