Un matin, ma mère m’a retrouvé sur le sol de ma chambre, inanimé, les yeux à demi ouvert. Elle a cru que j’étais mort. Mort d’avoir abusé de mes produits psychoactifs, mort de drogue, mort par la ravageuse et destructrice psychopathologie de l’addiction. Je pense qu’il n’y a rien de pire pour une mère que de voir son enfant mourir et j’écris cet article avec toute la gravité qu’il se doit, afin que chacun prenne bien conscience de la sévérité des addictions, moi le premier. C’était il y a quelques semaines seulement, et cette expérience fut traumatisante pour elle comme pour moi ensuite. Je la partage afin que cette gravité parvienne à la conscience du lecteur sans filtres.
Amnésique et inconscient, je n’ai aucun souvenir des premières heures après qu’elle m’ait trouvé ainsi. C’est donc avec son accord et son aide précieuse que je raconte ici cette expérience choquante. Je pense que je lui dois la vie plus d’une fois et que j’ai envers elle une dette d’amour sans limites, qui devra agir comme motivation pour me battre contre mes addictions, durant toute ma vie, contre la pulsion de mort. Je lui dois de réussir mon abstinence et de la prolonger le plus longtemps possible. Nul doute que le chemin devant moi demeure long et sinueux, mais je m’y suis engagé depuis quelques temps déjà, et mes sorties de routes sont de plus en plus dangereuses pour moi.

En panique, ma mère a su réagir du mieux qu’elle pouvait. Elle a vérifié mon coeur qui battait à environ 110, ma tension qui était à 12.5 et ma respiration, ce qui lui a ôté l’angoisse de mort assez rapidement. Ce jour là, je lui avais demandé de me réveiller en cas de panne de mon téléphone portable sur lequel l’alarme pour le réveil ne fonctionne pas toujours, car j’avais un rendez-vous prévu avec l’addictologue à 9h30. Elle a frappé à ma porte à 8h, sans réponse, réitéré son geste un peu plus tard, toujours sans réponse et puis elle est finalement rentrée dans ma chambre pour me retrouver ainsi, gisant par terre, immobile. Me réveiller ne fut pas une mince affaire. Elle dû me gifler un certain nombre de fois. Lorsque je me réveillai enfin je ne savais pas qui j’étais, et où j’étais. Totalement amnésique je posais la question « Qui suis-je ? et Où suis-je ? » de manière répétée un nombre incalculable de fois. Je ne reconnaissais plus ma propre mère. Elle connaît de près ma maladie d’addiction et ne doutait pas que je faisais une réaction à un produit psychoactif. Les mains tremblantes elle tente d’appeler le 15 mais tombe sur un autre numéro dont elle ne se souvient pas. Elle va dans ses contacts et trouve le numéro du CSAPA qui me suit, pré-enregistré et plus facile à composer, d’un seul doigt. Elle entre en contact avec une secrétaire qui lui transfère l’appel à la personne qui supervise ma prise en charge. Je ne reconnus pas plus cette personne que ma mère. Autre difficulté : me bouger du sol. Je pèse exactement le double du nombre de kilos de ma mère. Cela a été un véritable calvaire pour elle d’obtenir que je puisse m’asseoir sur mon lit.
Une fois assis sur le lit elle me fit boire beaucoup d’eau. Je suis toujours amnésique. Je pose la question « Qu’est-ce qui se passe ? » en permanence, car j’avais bien l’impression que la situation n’était pas normale, sans aucune idée de comment et pourquoi. Ainsi je me mis à pleurer à chaude larme tout en continuant à poser la question « Qu’est-ce qui se passe ? »
Ma mère hésite à composer le 15 une nouvelle fois. Cette hésitation est compréhensible. Lors d’une overdose à un médicament neuroleptique peu de temps auparavant, le médecin du 15 a refusé toute aide et nous a raccroché au nez en disant qu’il ne pouvait pas m’endormir de force avec un marteau, ce qui était d’après lui la seule solution. Je rappelle ici que les médecins ont une obligation légale de soigner, avec laquelle on ne tergiverse ou négocie pas. C’est le corollaire de toutes les années d’études investies par l’État dans leur formation et un engagement à vie.

Pour ma part je n’arrive pas à articuler, je bafouille des mots qui ont peu de sens, à part mes questions lancinantes d’amnésique en panique. Progressivement, je retrouve conscience. J’arrive à expliquer que j’ai pris de la poudre, sans plus de précision dans un premier temps. Par la suite, j’explique qu’il s’agissait de poudre de cannabinoïde pris par voie sublinguale. Cette poudre était un cadeau offert par le vendeur en ligne de mes produits psychoactifs, normalement à dissoudre dans une solution spéciale pour cigarette électronique. Je me mets à vomir partout : sur mon lit, sur le sol, puis dans les toilettes où ma mère arrive à me guider.
Deux heures plus tard je me lève subitement de mon lit en titubant et affirme que tout va bien, que j’ai retrouvé ma conscience normale des choses, avant de m’effondrer à nouveau sur mon lit. Il est vrai que dans mon souvenir, ma conscience et donc ma mémoire de cette matinée horrible commence à ce moment là. Tout ce que j’ai écrit précédemment m’a été raconté par ma mère afin d’écrire cet article. Je réexplique ce qu’il s’est passé, de manière plus posée. Je prends une douche, sans fermer à clé, de peur que je fasse une chute. Puis ma mère change mes draps et l’ensemble de mon lit. Elle nettoie le vomi pendant que j’essaye de remettre un peu d’ordre dans ma mémoire. C’est là que je prends conscience que sans mémoire, il n’y a plus de conscience de soi, des autres et du monde.
Au final cette expérience, dont je n’ai que peu de souvenirs, est l’une des pires que ma mère ait eu à vivre. Elle a du attendre un mois avant de pouvoir en parler à mon beau-père, son mari, bloquée par la force du traumatisme, ainsi qu’à mes sœurs. Je lui suis immensément reconnaissant de m’avoir pris en charge du mieux qu’elle pouvait. Raconter, c’est un peu revivre le moment et sa violence émotionnelle. Nous n’avons pas souhaité nous rendre aux urgences saturées de notre ville pour attendre une dizaine d’heures. Nous sommes allés au rendez-vous d’urgence fixé en fin d’après midi au CSAPA en présence de mon éducatrice et de l’addictologue.
Nous avons pu, ma mère et moi, faire le récit de cette expérience devant des professionnels quelques peu démunis. Ma mère n’a pas pu retenir ses larmes, compréhensibles face à la peur de ma mort. Je suis conscient des conséquences que cela a laissé chez ma mère, légitimement fatiguée et épuisée de traiter et gérer presque seule mon addictions au quotidien. J’ai connu d’autre rechutes depuis et je souhaite que ceux qui m’aiment s’unissent pour m’aider à me soigner.



