Pouvoir d’agir et agir du pouvoir

L’enjeu de l’abstinence peut paraître paradoxal : il s’agit de ne pas agir pour éviter d’agir. Cela requiert un pouvoir sur soi-même acquis par l’aide psychothérapeutique. Par agir et éviter d’agir, on parle bien évidemment de l’agir addictif, et non pas de l’agir en général. Bien au contraire, il s’agit pour que le maintien persiste d’agir par tous les moyens possibles, notamment en évitant les situations d’ennui qui conduisent à la dépression, laquelle alimente le craving qui prépare la rechute. Le pouvoir d’agir sur soi n’est pas réparti équitablement entre tous les êtres humains, que cela soit à la naissance ou tout au long du développement jusqu’à l’âge adulte et la vieillesse. Nous ne sommes pas égaux en matière d’agir, mais la psychothérapie, peut corriger cela, rééquilibrer les inégalités de pouvoir.

L’agir du pouvoir est un agir à manipuler avec précaution, il comporte une forte dimension éthique par laquelle la conscience protège les autres et l’environnement d’un pouvoir qui perdrait le contrôle de lui-même. En sciences politiques on se réfère souvent à la phrase célèbre de Montesquieu dans L’esprit des lois (1748) : « le pouvoir doit arrêter le pouvoir ». Le philosophe pense alors au despotisme du pouvoir absolu royal qui n’a aucun contre-pouvoir, lequel est réapparu récemment par l’usage des outils les moins démocratiques de la Ve République, elle-même la moins démocratique des quatre précédentes (où rien de près ou de loin ne s’apparentait à notre article 49-3 de la constitution qui aurait été considéré comme un outil dictatorial et une violation du principe de séparation des pouvoirs). En matière de psychologie, la démocratie psychique doit s’abstenir de toute utilisation des 49-3 personnels, c’est à dire des contournements par la force de la diversité et de la pluralité interne des convictions préalables à la prise de décision.

Lorsqu’il s’agit de la dictature de l’addiction, l’enjeu est la révolution, tant dans son sens astronomique (revenir au point de départ d’une orbite) que dans son sens historique (changer l’ordre des choses pour le meilleur). Le pouvoir bienfaiteur de la révolution réside dans sa dynamique d’exploration de tous les types de modèles possibles, comme en témoigne la période s’étalant de 1789 à 1799 dans l’histoire de France, où toutes les formes de régimes politiques ont été expérimentés en une décennie après des siècles de stabilité monarchique. Pour l’addict, l’abstinence est donc bien une révolution psychique qui implique le maintien d’un pouvoir d’agir sur soi même et la conservation d’un agir du pouvoir sur son environnement qui doit être le moins propice possible à la rechute. Pour paraphraser le titre d’un ouvrage célèbre, l’abstinence est une forme de révolution permanente.

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