Troubles du sommeil : les conflits d’Hypnos de Nyx et de Morphée

Il est 3h28 du matin et me voilà debout, en pleine forme. Inutile de chercher à me rendormir, cela ne fonctionnera pas. Les divinités grecques Hypnos (le sommeil), Nyx (la nuit) et leur enfant Morphée (les rêves) ne sont jamais vraiment en paix dans mon existence. Elles se livrent à une guerre qui a pour victime mon sommeil et qui explique qu’en plus de la nuit, j’ai besoin de siestes diurnes pour disposer de mon quota de repos. Cela ne m’arrive pas toutes les nuits, mais suffisamment souvent pour que soit diagnostiqué un trouble du sommeil. Ce problème est particulièrement prégnant au début de mes périodes d’abstinence car j’utilisais durant l’addiction mes substances psychoactives pour maintenir un sommeil plus régulier. Cette phase est sans doute temporaire, car mon abstinence n’est là que depuis une petite semaine. Alors j’utilise ce moment à des fins utiles, je reprends la lecture de mes ouvrages encore ouverts et jonchant mon lit, je prends des notes, je réfléchis sans trop me prendre la tête qui vacillera parfois pour une seconde période de sommeil, plus tardive.

Mon quota de sommeil quotidien est toujours atteint : environ sept à neuf heures de sommeil par tranche de 24 heures, et cela serait impossible sans la sieste, à laquelle j’ai déjà consacré un article. Comme l’écrit Hésiode dans sa Théogonie : « Là demeurent les enfants de la Nuit obscure, le Sommeil et la Mort, divinités terribles que le soleil resplendissant n’éclaire jamais de ses régions, soit qu’il monte vers le ciel, soit qu’il en redescende. Le Sommeil parcourt la terre et le vaste dos de la mer en se montrant toujours paisible et doux pour les humains« .

Hypnos répand son sommeil
Nyx veille sur la nuit
Morphée se laisse rêvée

Le sommeil est une petite mort, en particulier dans la phase de sommeil profond où le corps est figé et où aucun rêve ne vient perturber le dormeur. Mon trouble du sommeil n’est ni celui d’un manque, ni celui d’un excès, juste celui d’une irrégularité. J’ai l’habitude, et je ne suis pas le seul, à considérer que le sommeil est une répétition de la mort. D’ailleurs, Hypnos est le frère de Thanatos, le dieu de la mort dans le panthéon grec. En revanche, dans le sommeil paradoxal, le corps a beau être figé, le cerveau entre dans un état d’hyperactivité : ce sont les rêves, qui s’accompagnent de mouvements oculaires rapides sous les paupières. Je suis un grand rêveur : souvent mes rêves sont de véritables récits d’aventures, lesquels m’ont parfois inspiré l’écriture de nouvelles ou de début de romans inachevés.

Chez le nourrisson, le sommeil n’est pas encore régulé et réveille les parents à intervalles réguliers pour la tétée ou le biberon. Loin de me comparer à nouveau né, je note que la nuit de sommeil n’est pas la norme à tous les âges de vie. Nous avons même en France, un Institut National du Sommeil et de la Viligance, c’est dire toute l’importance du sommeil en matière de santé publique. Les français dorment en moyenne 7h08 par nuit, soit deux heure de moins que la recommandation officielle (9 heures). Le week-end, cette moyenne augmente pour parvenir à 8 à 10 heures de sommeil, sans doute pour récupérer des vicissitudes de la semaine de travail, de plus en plus stressante. On dit le sommeil réparateur et c’est vrai : la plupart des activités de régénération du corps se font pendant le sommeil, du système immunitaire jusqu’aux muscles. 30% de la population française ne dort que 6 heures par nuit. Il existe en outre une variabilité personnelle des besoins en sommeil. Certaines personnes, et pas des moindres, peuvent ne dormir que 4 heures par nuit, ce qui n’est pas bon pour la prise de décision diurne (suivez mon regard…). Le déficit de sommeil est impliqué dans un grand nombre de pathologies : les troubles anxio-dépressifs (en ce qui me concerne) mais aussi le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires, l’obésité…etc. 69% des individus se réveillent au moins une fois par nuit, ce qui n’est pas forcément un problème, sauf s’il faut plus d’une demie-heure pour se rendormir. Les troubles du sommeil augmentent avec l’âge et sont le plus fréquent de 45 à 65 ans. Au delà, la quantité nécessaire de sommeil baisse naturellement, car c’est l’un des effets du vieillissement.

Enfant, j’étais sujet à des terreurs nocturnes : des cauchemars, toujours similaires, me réveillaient souvent, en particulier durant les années qui ont précédé le divorce de mes parents. C’est à ce moment là que prennent racine mes troubles anxio-dépressifs car il ne faut pas minimiser le traumatisme que représente un divorce pour un jeune enfant. Mais je n’ai aucun blâme à accorder à mes parents : leur divorce, sur le long terme, m’a fait plus de bien que de mal, car ils ne pouvaient plus vivre sainement ensemble ; et artificialiser leurs relations, même pour protéger leurs enfants, aurait pu me précipiter vers la délinquance juvénile plutôt que la dépression adulte. Il n’y a donc aucun regret de ma part quant à cet épisode de mon enfance, si ce n’est l’absence de diagnostic de mon mal-être infantile, qui aurait pu m’épargner (peut-être ou peut-être pas, on ne le saura pas) de sombrer dans les addictions à l’âge de jeune adulte.

M’endormir avec des cannabinoïdes de synthèse ne me procurait pas un sommeil de qualité, bien au contraire : au réveil, je n’avais pas ce sentiment naturel de temps écoulé, j’avais plutôt l’impression que la nuit n’avait duré que quelques minutes et je reprenais, dès le matin, ma consommation de drogue avec une impatience qui sacrifiait le petit déjeuner. Les benzodiazépines, parfois prescrit pour mieux dormir, produisent par contre un sommeil de meilleur qualité, nonobstant les rêves psychédéliques. Quant au LSD, il s’accompagne d’une impossibilité de dormir sur une période minimale de 12 à 18 heures, la durée de ses effets. On s’en sort fatigué, car le cerveau sous LSD est sur-stimulé. Les drogues ne m’ont donc pas aidé, elles ont au contraire contribué à pérenniser mes troubles du sommeil. Mon futur séjour en clinique se chargera probablement de remettre de l’ordre dans mon hygiène de vie, en particulier par la fixation d’horaires régulier de sommeil.

Mise à jour 3 heures plus tard : après avoir écrit cet article… je me suis rendormi. Comme quoi…

Source :

Léger, D. (2022). Les troubles du sommeil. Presses Universitaires de France. (Disponible sur CAIRN)

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